Raisonnement Juridique: La question de la logique formelle dans le droit.

On a peut-être l’habitude d’entendre, souvent, en faisant allusion au Droit, dire que c’est une discipline logique – autrement dit, c’est une discipline qui obéit rigoureusement au raisonnement logique. Ce qui emmène beaucoup d’esprits brillants  à avoir une telle pensée est l’utilisation récurrente du syllogisme élémentaire dans les décisions judiciaires. Ainsi: Tout coupable d’assassinat sera punit de travaux forcés à perpétuité( Art-245 C.P); Or X est coupable d’avoir assassiné Y; Donc, X sera punit de travaux forcés à perpétuité. Cette forme de syllogisme est calqué sur le modèle par excellence du raisonnement logique par déduction: Tous les hommes sont mortels; or Socrate est un homme; Donc, Socrate est mortel. Mais cette voie est périlleuse. Étant une discipline qui fait  couramment l’utilisation du syllogisme dans ses pratiques, est-ce ainsi sous-entendre que le droit serait conforme  au raisonnement logique? La logique, étant une notion polysémique, pour ne pas tomber dans une abîme infini, n’est-il pas nécessaire de déterminer la forme  logique qui conviendrait au cas échéant? Ce qui nous est certain: c’est que le droit, comme toute autre discipline scientifique, répond à un besoin logique. Il est tout à fait absurde de dire que les professionnels du droit ne s’adonne nullement à la logique dans l’exercice de leur métier. Les décisions prises par les juridictions avec de très grandes solennités seraient-elles illogiques, aberrant, saugrenues..? La réponse à cette question semble être négative. Toute société, appelée à évoluer, douée d’être raisonnable, ne saurait accepter qu’une justice rende des décisions isensé , sans fondement et incohérent. Il est vrai que: «l’art de raisonner – logiquement – est un présent que la nature fait à tous bons esprits». Pourtant, aussi paradoxales que celà puisse paraître, les rapports entre le droit et la logique ne sont pas aisément saisissable. Afin de saisir ce rapport, nous nous aventurerons dans l’univers sensible de la théorie du droit, mais avant tout il est important savoir ce qu’est la logique et, bien plus encore, de déterminer les diverses formes logiques.

Le raisonnement logique et son évolution.

Le terme de « logique » nous provient – Étymologiquement – du grec logikè ( dérivé de logos:  «Parole», «Raison»). L’exigence d’une définition, tiré de l’étymologie du terme, nous amène à conclure que la logique est: l’art ou la science du raisonnement. En d’autres termes, la logique est l’ensemble des procédés mises en œuvres par l’esprit humain afin de parvenir à la vérité (Rougier, 1921).

Le terme de logique aurait été utilisé pour la première fois Par Xénocrate( 396-314 av. J. -c.).  Dans l’antiquité, la logique était considérée  comme l’une des disciplines philosophiques aux côtés de l’éthique et de la physique. De là étant, la logique prend son envol à partir de l’apparition du Syllogisme Aristotélicienne, définit comme raisonnement où une certaine nombres de choses étant prouvées et à partir desquelles on tire une conséquence, logiquement, vraie. Il est composé d’au moins trois propositions: les deux premières sont dites «prémisses» dont la troisième est une «conclusion ». L’exemple parfait notamment  très connus du syllogisme est: «Tous les hommes sont mortels; or, Socrate est un homme; Donc Socrate est mortel».C’est cette forme de syllogisme que les juges utilisent couramment pour rendre les décisions judiciaires. Au Moyen-âge, la logique, basée sur les travaux d’Aristote, fut grandement enseignée par la scolastique. Au XVIIÈME  siècle la logique fut critiquée, notamment par Descartes, pour son caractère spéculatif et son manque d’utilité et à laquelle il préféra plutôt les mathématiques. Au cours de ce même siècle la logique Aristotélicienne va connaître un profond changement; Surtout Avec Leibniz et sa logique formelle. Plus tard, sous l’influence du Britannique Georges BOOLE, la logique s’est répandue dans d’autre discipline comme les mathématiques et la physique.

La logique formelle: La théorie de la conséquence.

Dans son sens générique la logique est l’étude des procédés entrepris par l’esprit humain pour parvenir à la vérité. Cette vérité peut résulter de l’accord de nos pensées entre-elles, c’est ce qu’on appelle la vérité logique ou formelle. Ausssi, cette vérité peut être matérielle: qui résulte de l’accord de nos pensées avec les faits observables dans le monde empirique. À ces deux formes de vérités correspondent deux formes de logique: La logique formelle ou déductive et la logique matérielle ou inductive. La première s’occupe uniquement de garantir la cohérence de nos jugements entre eux, c’est à dire la non-contradiction de nos pensées entre-elles.  La deuxième, quant-à-elle, s’occupe à dégager la conformité de nos jugements avec les faits sur lesquels on pense. Ainsi, nous pouvons définir la logique formelle comme:« la connaissance d’un ensemble de règles permettant de tirer d’un certain nombres de notions premières, de nouvelles notions non-contradictoires donc logiquement  existantes, pour aboutir à  une  conclusion (conséquence) tenue pour vraie». En ce sens la logique formelle est l’étude de l’inférence parce qu’elle permet de passer des assertions considérées vraies, les prémisses, Pour aboutir à une conclusion, logiquement vraie aussi donc une conséquence. D’où la référence à la théorie de la conséquence quand on parle de la logique formelle. Maintenant il nous vient à déterminer son rapport avec une discipline scientifique: le droit.

La logique formelle et le Droit.

La logique a longtemps été considérée comme un outil méthodologique essentiel. Le philosophe du droit de nationalité danoise, ALF ROSS, Considère les inférences logiques comme un modèle privilégié de raisonnement. Ainsi, la rigueur de la logique formelle permettrait de bannir de toute connaissance scientifique ce qui est invérifiable, douteux autrement dit métaphysique. En d’autres termes, toute discipline se voulant scientifique devrait être conforme à une logique formelle. Autour des débats ayant pour but d’affirmer que le droit est une science ou la possibilité d’avoir une science du droit, s’ajoute le débat autour du modèle de raisonnement utilisé par le droit. Est-ce un mode de raisonnement logique que suit le droit, en vertu de la grande valeur épistémologique que procure la logique formelle à toute discipline scientifique, comme susmentionnés? La littérature de la théorie du droit est divisée sur la question. Ce qui cause problème. Des conceptions s’opposent: certaines sont affirmative sur la question; d’autres vont dans l’autre sens. Il convient de voir les pistes de réponses proposées par ses théoriciens et de chercher une lueur de clarté dans les vagues ténébreuses.

Le droit: le problème logique?

Avant de nous noyer dans le problème de la logique juridique, il nous revient à faire deux supposition qui sont généralement admises par la littérature de la théorie du droit. Il faut supposer que le droit dont nous parlons ici n’est autre que le droit positif, et qu’ensuite, par besoin épistémologique, la logique formelle est la forme logique qui nous intéresse.

Les affrontements entre les conceptions relatives au rapport entre le droit et la logique résulte sur un unique point: la possibilité d’une logique déontique.  La logique déontique, pour parler clairement, c’est la logique des normes. La logique déontique a été conceptualiser par le philosophe Finlandais H. Von Wright en 1951 dans son ouvrage Deontic logic. Mais, peut-il vraiment y avoir une logique des normes? Pour répondre à cette question il convient de faire une analyse caractéristique des propositions de la logique classique dite aléthique et une comparaison avec les normes. Ainsi, les propositions logiques sont susceptibles d’être vraies ou fausses. « Tous les hommes sont mortels« , cette proposition est vraie. Mais il peut y avoir aussi une proposition invraisemblable: Tous les hommes sont immortels. De ce fait, la conséquence déduite de ces propositions peut-être aussi vraie ou fausse: Socrate est mortel(vraie) ou socrate est immortel(fausse). Maintenant, en ce qui a trait aux normes, possèdent-elles le caractère aléthique, peuvent-elles être vraies ou fausses? La norme:«Tous les voleurs doivent être punis », est-elle vraie ou fausse? C’est tout à fait idiot ou démentiel de la part de quelqu’un de dire qu’une norme voulue par l’État soit vraie ou fausse. Pour Alf ROSS cela conduit à un présupposé métaphysique; celui d’affirmer que les normes sont des entités existantes susceptibles d’êtres vérifiées( vrai ou faux). Donc, de cet aspect-là, la logique déontique est impossible. Mais, il existe quand bien même un autre aspect pouvant conduire à la  possibilité d’une logique des normes, celui de l’inférence. Pour reprendre Troper:«en logique classique, on dérive à partir des propositions considérées vraies de nouvelles propositions nécessairement vraies aussi». C’est ça l’inférence: déduire. C’est à partir des propositions:«Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme » qu’on a déduit ou encore inférer la conclusion:«Donc, tous les hommes sont mortels ». Dans le monde des normes, il n’est  pas aisé de faire de même. Il est inconcevable de tirer par syllogisme une norme d’une autre norme. Dire que: Tous les voleurs doivent être punis; n’est pas dire que «x, le voleur, doit être punit». Il se peut même que le voleur soit acquitté ou bien que sa peine soit différente de la peine prévue par la loi. Encore, bien que les juges utilisent le syllogisme, ils n’en sont pas pourtant esclaves. Le juge en tant qu’interprète est créateur de norme. L’interprétation est un acte de volonté; le juge peut bien appliquer la norme ou s’en détourner (Troper, 2015). À tout cela nous pouvons ajouter le problème de la contradiction. La contradiction est caractéristique des propositions de la logique formelle. Ainsi, dans la logique classique, on peut avoir une antinomie entre deux propositions: le ciel est bleu et le ciel n’est pas bleu, sont des propositions contradictoires; elles ne peuvent pas être vraies en même temps. En ce qui concerne les normes: il est tout à fait délicat que le législateur oblige qu’on fume et qu’il interdit en même temps de fumer. Dans maints systèmes juridiques, quand telle situation se présente, on a souvent recours à des lois interprétatives ( lex posterior, lex specialis,…) pour résoudre la confusion. En conséquence, toutes ces lumières portées, nous amène à renforcer notre conception sur la dissymétrie entre le droit et la logique. Nous l’avons montrer: la possibilité d’avoir une logique déontique est  quasi-nulle. Si le rapport entre la logique formelle et le droit est  inconcevable, comment justifier l’utilisation du syllogisme par les juges pour rendre des décisions de justice? À cette interrogation A. ROSS répond d’une manière somptueuse.

Le syllogisme judiciaire: L’illusion  logique.

Les scientifiques du droit veulent camper une science juridique suivant le modèle des sciences de la nature; Donc, ils cherchent à avoir une logique juridique. Cette démarche étant trop délicate; ils se sont donc dit pourquoi ne pas en projeter l’image – que le droit serait une science au même degré que les sciences naturelles. C’est en ce sens que s’inscrit l’utilité du syllogisme judiciaire. Pour A. ROSS l’utilisation du syllogisme dans les décisions de justice repose sur un état psychologique d’acceptation de certaines évidences. Dès que le juge qui est investi d’autorité prononce la sentence, il a souvent recours à l’inférence des normes. Ainsi, la règle dit:tous les voleurs doivent punis; X, qui est coupable de vol sera punit; x ne saurait dire que sa punition inférée est inadmissible ou encore illogique car il a réellement volé et que la règle existe. Voilà donc le piège que projette l’utilisation du syllogisme; elle provoque, chez l’accusé, l’acceptation de sa peine. C’est ce que Ross appelle L’illusion logique. Et, cette illusion est d’une grande importance épistémologique; car, le juge étant un être de chair est capable de faire des jugements de valeurs dans ses décisions, ce qui conduira à la non-acceptation par les parties de ces décisions. Ce que Weber appelle la neutralité axiologique, le fait du scientifique de ne pas émettre des jugements de valeurs  dans ses études, est un élément clé caractéristique des disciplines scientifiques conformes à la philosophie des sciences. L’utilisation du syllogisme montrerait que le droit applique la neutralité que commande l’épistémologie. Comme le dit Ross:« le recours aux figures logiques n’est qu’une forme de justification à posteriori ». Ces figures logiques( syllogisme) qu’utilisent le droit mettent beaucoup l’accent sur la norme générale, afin de faire naître l’erreur dans la tête des parties, comme quoi le juge ne s’impliquerais pas subjectivement dans les sentences rendues. Il nous revient alors à nous interroger sur la possibilité d’une logique du droit. Étant conscient que le syllogisme ne rend pas le droit logique, ce n’est qu’illusion; mais, qu’en est-il de ceux qui parle d’une logique juridique? Existe-t-il vraiment une logique du droit?

L’existence d’une logique juridique?

Dans la mesure où la logique des normes (Déontique) est impossible, certains théoriciens soutiennent la thèse que la logique serait inapplicable au droit. Cette thèse, comme le dit M. Troper, est irrationnaliste. Bien que la logique des normes est inconcevable, mais il existe tant bien que mal une logique du droit. Et, cette logique n’est rien d’autre que le mode de raisonnement que les juristes( Avocats, juges) utilisent pour pratiquer leur métier. Autrement dit, la logique juridique serait l’ensemble des moyens, des arguments auxquels les juristes ont recours pour persuader, ou encore pour faire accepter leurs décisions.  Cette conception de la logique du droit nous le devons au grand juriste belge: Chaïm Perelman. Les grands travaux effectués par Perelman se déroule autour d’une constatation: le droit juif, le droit anglo-américain( common law) ainsi que le droit européen( franco-belge) possèdent un problème en commun qui est la difficulté d’adapter le droit en vigueur  aux besoins de la vie. Car, en vertu des changements, le droit se trouvait souvent en inadéquation avec le réel. Ceci dit, l’herméneutique juridique(l’interprétation) est d’autant plus important car, à cause de ce changement au rythme de plus en plus accélérer, l’herméneutique se trouve face à un défi: l’acceptabilité. Comment rendre acceptables les décisions judiciaires avec l’inadéquation répétée du droit avec la réalité? Pour ainsi remédier à cette problématique, la logique juridique ne se résumerait  pas une déduction des prémisses une conclusion, ce qui la confonderait avec la logique formelle. Selon cette conception, la logique juridique consisterait dans le choix des prémisses et des moyens( arguments, faits, moyens de preuve) pour rendre objectivement acceptable ces prémisses. Ainsi, X est poursuivi pour vol; en procès, son avocat avancera des arguments( a contrario, a fortiori, etc.) pour montrer que son client n’a nullement volé; aussi, l’avocat de la partie civile avancera faits et arguments pour prouver que X a bel et bien volé; de son côté, le juge avancera des arguments pour motiver sa sentence. Voilà ce qu’est la logique juridique: ce que Troper appelle la logique de l’argumentation. Donc, la logique juridique désigne le processus controversial des prémisses des inférenes d’interprétation du droit visant son adaptation aux besoins actuels de la vie et se situant dans le cadre de l’application judiciaire du droit ( Kalinowski). Pour répéter Troper: la conception Perelmanienne serait tautologique. Car, le droit obéit à la logique mais cette logique n’est pas la logique formelle mais plutôt une logique du droit qui vise à décrire les arguments et raisonnement utilisé par les juristes eux-mêmes en procès ou dans tout autres démêlés juridiques. Cette conception serait la plus acceptable. Ils existent tant bien d’autres conceptions contradictoires à la thèse de Perelman; aussi, notre démarche n’est en rien exhaustive( l’aurait-elle put l’être?). Mais nous devons à la conception Perelmanienne l’encens pour nous avoir tracer un sentier, bien qu’étroite, nous sauvâmes ainsi des falaises rocailleuses.

En guise de conclusion

Le droit est une discipline majeure. Car, comme l’a si bien dit Troper:«nous vivons sous l’empire du droit». Dès notre naissance le droit nous accompagne et devient un ami fidèle dont on ne peut s’en passer. Nous lui confions tout: nos affaires économiques( droit des affaires, droit économique); nos sentiments intimes(mariage, PACS, divorce); notre famille( droit de la famille). Et, même quand sonne l’heure fatale de la mort, il est là et prendra soin de ceux qu’on aime(Droit des successions). Par-dessus tout, ce qui amène certains à l’élever encore à une sphère plus noble, c’est son caractère interdisciplinaire. Le droit est vagabond, il se touve çà et là: dans la sociologie, la philosophie, la psychologie etc. Son idylle avec la philosophie a accouché de grandes interrogations qui ont dominé l’histoire de la théorie du droit et la philosophie. Parmis ces interrogations, son rapport avec la logique occupe une place considérable. Dans notre démarche, nullement exhaustive, nous avons adopter une conception jetant des pistes de réponses assez acceptable à cette problématique. Car, dans le droit, derrière chaque question, divreses conceptions s’affrontent: positivisme, naturaliste, empiriste, réalisme, etc. Et, chacune de ces conceptions ont grandement contribué à faire du droit une discipline scientifique proche des sciences naturelles. Ce qui fait que toute démarche visant à traiter des questions classiques du droit serait difficilement objective et reflétera un parti pris. Car, pour reprendre Troper: «le droit n’est pas donné, mais construit par la théorie qui en traite».

Wood kervens FIGARO Lecteur/ Étudiant.

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